Il y a peu, notre collègue Tristan Canat nous partageait certaines de ses pensées qui émergent à vélo, celles qui viennent en mouvement et qui font bouger les lignes. C’était ici, dans un billet d’humeur précédent : Attribution, lean management et coût moyen de gestion… et le CCH dans tout ça ?

Comme vous le faites peut-être, c’est dans le train, en parcourant les territoires, que nous avons pris connaissance de sa proposition d’un double CCH. Là, notre esprit cartésien n’a fait qu’un tour : les attributions de logements sociaux seraient-elles devenues une équation impossible ? Le système serait-il inefficient à force de réformes successives ?

Si les évolutions à l’œuvre peuvent effectivement bousculer les pratiques et les postures historiquement consolidées, nous allons vous montrer qu’il n’y a rien d’insurmontable, et que chacun est en mesure de comprendre et d’être acteur de ce qui se joue s’il prend quelques minutes pour y réfléchir posément. 

Extrait et (très) librement traduit du site web DILBERT ©

 

Quelques notions de politiques publiques 

 

La politique du logement est réglementée nationalement, mais se met en œuvre localement. Depuis 2014 et la loi ALUR, c’est à l’échelle des EPCI (Etablissements Publics de Coopération Intercommunale) que se décline au concret la politique de l’habitat, et notamment la gestion de la demande et les attributions des logements locatifs sociaux.

Tandis que nationalement, la réglementation des attributions vise à articuler l’accès au logement des ménages en situation de fragilité d’une part, la mixité sociale sur les territoires d’autre part, ainsi qu’une meilleure transparence et équité du processus, la mise en œuvre laisse d’importantes marges de manœuvre à l’échelle des EPCI. Les Conférences Intercommunales du Logement (CIL) sont les espaces partenariaux dédiés à la question du logement social, où siègent à la fois les services de l’Etat, les collectivités territoriales, les bailleurs sociaux, les réservataires et les représentants de bénéficiaires.

La réglementation fixe un cadre au sein duquel ces acteurs, aux intérêts parfois différents, vont partager leurs contraintes, leurs approches et se coordonner pour proposer une mise en œuvre cohérente et pertinente à l’échelle du territoire intercommunal.

Des acteurs plus que des clients 

 

En effet, il serait réducteur d’analyser ce qui se joue par le seul prisme de la notion de « clients ». Les parties prenantes ont des relations croisées les unes envers les autres, avec des rôles qui sont différents, et ne sont pas toutes en position de consommation d’un service ou de commanditaire d’une prestation.

Les services de l’Etat et les élus sont à notre sens les décideurs de la politique publique d’accès au logement social. L’un veille au respect du cadre réglementaire, l’autre pose les orientations pour les décliner de manière pertinente au sein du territoire : cibler tel ou tel public à enjeux, loger les travailleurs et habitants du territoire par exemple. Plus que mécanique ou mercantile, leur relation est dialectique.

Mais ce ne sont pas que des décideurs. L’Etat et les collectivités partagent plusieurs rôles avec les autres réservataires et les bailleurs sociaux : ils sont opérateurs de la politique publique, ce sont eux qui vont mettre en œuvre les objectifs et les orientations. Mais la mise en œuvre leur fait aussi changer leurs propres manières de faire : de rapprocher l’offre et la demande, d’informer le demandeur, de travailler le parcours résidentiel des locataires du parc social.

Enfin, les bénéficiaires sont ceux qui vont recevoir les effets positifs de la politique publique, à savoir loger des ménages dans toute leur diversité, tout en veillant à la mixité sociale, et ce de manière équitable et transparente. Il s’agit des demandeurs de logements sociaux, mais nous pensons aussi aux locataires et aux habitants, qui vont bénéficier des dispositifs de mobilité résidentielle favorisant la mutation et des actions en faveur de la mixité sociale.

Et de manière transversale, tous ces acteurs s’accordent sur un plus petit dénominateur commun : trouver des solutions de logement à ceux qui en ont besoin et contribuer au vivre-ensemble au sein des territoires.

 La cohérence et la pertinence interrogées 

 

Alors oui, les objectifs de logement des ménages fragiles et de mixité sociale peuvent dans certains contextes paraître contradictoires. Oui, les dispositifs visant à plus de transparence et d’équité modifient, voire bousculent, les manières de faire des acteurs de l’attribution.

L’un des enjeux est de partager ces éléments de manière partenariale en Conférence Intercommunale du Logement pour trouver des modalités de mise en œuvre, pertinentes et progressives, comprises par tous.

Tout n’est pas parfait, et l’on peut se poser des questions quant à la pertinence de cette politique – est-ce que cela répond aux enjeux de logement des ménages ? quid de l’offre ? – et de cohérence de la politique publique – est-ce que c’est aligné avec les autres politiques publiques de l’habitat, de l’aménagement et de transport sur le territoire ? est-ce que les acteurs et leur organisation sont à même de mettre en œuvre ces objectifs ?

Mais avant de répondre à ces questions – qui feront l’objet d’autres publications –, il y a des chemins pragmatiques pour être efficient en faisant avec l’existant. Ce n’est pas en épaississant le CCH – en le doublant par exemple pour adapter le contenu à des typologies de territoires – qu’on gagnera en clarté, lisibilité et appropriation par ceux qui doivent faire.

 Que faire ? 

 

Bien qu’imparfait, le CCH a selon nous le mérite de formuler :

  • des objectifs : loger les ménages en situation de fragilité tout en contribuant aux mixités sociales ;
  • une éthique : plus de transparence et d’équité dans les attributions ; 
  • une mise en œuvre décentralisée : beaucoup de modalités sont à définir de manière partenariale, au travers des Conférences Intercommunales du Logement.

Plutôt que “plus de CCH”, nous prônons “mieux de CCH”, par :

  • l’investissement des Conférences Intercommunales du Logement, et des dispositifs qui leur sont associés (CIA, PPGDID, commission de coordination) : en finir avec les grands-messes descendantes, pour que ce soit la véritable instance de pilotage, de suivi et d’évaluation de la politique publique locale d’accès au logement social. Et reconnaître dans les faits que l’échelle EPCI est pertinente, au besoin en l’accompagnant aux échelles départementale ou régionale, mais sans la court-circuiter ni la devancer ;
  • la déconstruction de la vision techniciste et contraignante des réformes en cours : il faut rappeler les enjeux, partager les contraintes, être pragmatique, et y aller progressivement par petits pas successifs plutôt que de viser le grand soir des attributions.

Cela passe notamment par des changements de posture :

  • des services de l’Etat, pour voir plus loin que la lettre du CCH et en faire vivre l’esprit : alimenter le partenariat et le travail en confiance plutôt que de vouloir calquer partout et tout de suite les dispositions les plus ambitieuses ;
  • des élus, pour ne plus se sentir cernés par les demandeurs et par la réglementation, mais pour qu’ils prennent leur rôle de décideur de la politique publique locale (sur ce sujet, lire notre article co-écrit avec Julien Leplaideur : Les élus face au système d’attributions du logement social : un repositionnement stratégique et sensible) ;
  • des bailleurs et des réservataires (dont l’Etat et les collectivités), pour ne plus se considérer entre le marteau réglementaire et l’enclume des élus, mais pour saisir toutes les opportunités offertes par ces évolutions en termes de pilotage des attributions, de parcours résidentiel et de satisfaction des demandeurs, tout en partageant leurs contraintes (outils, personnels, process).

Pour nous, 2023 sera l’année où se décanteront des dispositifs et des postures parfois en suspens, pour ouvrir la voie à une période propice à la co-construction et à la mise en œuvre localisée, différenciée et intelligente des dispositifs du CCH. 

 

Et vous, qu’en pensez-vous ? Partagez-vous notre optimisme ?

 
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